Rosita Boisseau, Le Monde, 26 octobre 2001
FR (ENG below)
Tricks & Tracks au Théâtre de la Bastille -FÈRE-EN-TARDENOIS (Aisne) de notre envoyée spéciale
La salle des fêtes de Fère-en-Tardenois, prestement rhabillée en gymnase (tapis de danse et cage métallique où sont accrochées des suspensions élastiques), vibre des frappes profondes et sèches d'une musique techno. Une lumière intense zèbre quatre hommes tournoyants en l'air, agrippés les uns aux autres comme des parachutistes en chute libre. A peine ont-ils posé un pied à terre, qu'ils s'élancent de nouveau, bras ouverts, pour sans cesse être ramenés au sol. Dans cette tension vouée à l'échec, la fureur du chorégraphe hongrois Pal Frenak puise sa saveur, celle de l'âcre bonheur d'être en vie. Quitte à être claquemuré dans ce bloc de chair qu'est un corps, du moins faut-il tenter d'en percer le mystère.
Depuis le 1er octobre et pendant trois semaines, Pal Frenak profite d'une résidence en Picardie grâce à l'action conjointe de quatre lieux (l'Echangeur de Fère-en-Tardenois, le Centre culturel de Tergnier, la Maison de la culture et des loisirs de Gauchy et le Chevalet de Noyon). A l'affiche de Magyart, saison hongroise en France, ce chorégraphe, installé en France depuis 1988, brandit le drapeau d'une compagnie franco-hongroise recrutée au fil de ses allers et retours entre Paris et Budapest. Un atout que cet homme frémissant entend faire jouer à plein.
UN PARCOURS INSOLITE
"Au fond, je suis comme de la mauvaise herbe qui trouve toujours un terrain où s'étendre ,commente- t-il dans un demi-sourire. Depuis mes débuts, j'ai des difficultés pour trouver une écoute du côté des programmateurs français, qui ne savent pas où me situer. Lors de mes voyages en Hongrie, j'ai commencé à ouvrir des ateliers avec le soutien du théâtre Trafo, l'un des seuls lieux à programmer des chorégraphes contemporains. Depuis quatre ans, en partie grâce à ce travail, Budapest s'ouvre à la danse contemporaine. Du coup, des interprètes ont eu envie de me rejoindre. Certains viennent de grandes compagnies folkloriques, d'autres de l'école de l'Opéra ou du patinage artistique. Ils ont tous un potentiel et une urgence de s'exprimer. On travaille avec trois fois rien, mais leur volonté de voir naître quelque chose de neuf dépasse toutes les contingences."
Avec se danseurs, Pal Frenak, partage un parcours insolite. Arrivé tard à la danse (il a vingt ans quand il prend ses premiers cours de classique tout en travaillant comme serveur dans un restaurant), il brûle les étapes pour pointer, en moins de huit ans, comme soliste dans les meilleures compagnies hongroises. En France, il rejette le parcours obligé d'interprète pour poser les fondations de son oeuvre. Un travail de force qui retourne les couches de l'enfance (né de parents sourds-muets, Pal Frenak a passé une partie de la sienne dans un rude internat) pour en extraire le sens sans perdre pied dans ses failles.
Sur ce chemin escarpé, le chorégraphe a posé des jalons chorégraphiques solides comme Les Palets (1994), transfiguration âpre et néanmoins étrangement angélique de l'enfermement, ou Sainte Rita (1996), incision noire dans un monde acculé. "Je creuse les pulsions pour forger des mouvements organiques et mettre en forme cet état primitif de l'être qui s'apparente à une transe, celle d'aujourd'hui."A mesure qu'il prend de la distance vis-à-vis de son passé, Pal Frenak desserre la camisole de mouvements qui lui assurait une certaine stabilité pour faire sauter tous les verrous corporels. Dans Sauvageries (1998), pièce qui ne fait pas mentir son titre, ou Tricks and Tracks (1999), qui expulse la matière brute de l'être, il aborde une zone de violence dangereusement humaine et encercle toujours plus près l'origine m[1][1]! 34;me de ce qui le tient encore debout et dansant.
ENG
Tricks & Tracks at the Théâtre de la Bastille -FÈRE-EN-TARDENOIS (Aisne) from our special correspondent
The village hall in Fère-en-Tardenois, deftly revamped into a gym (dance mats and a metal cage with elastic cords hanging from it) vibrates with the blunt, heavy thumping of techno music. The intense lighting throws streaks across four men spinning in the air, grasping each other like parachutists in free fall. As soon as their feet touch the ground, they take off again, with open arms, to be eternally brought down to the ground again. It is this tension – doomed to failure – that gives the furor of Hungarian choreographer Pàl Frenàk its particular flavor, that of the acrid joy of being alive. If we are to be enclosed in this chunk of flesh which is the body, we might as well attempt to penetrate its mysteries.
For three weeks, beginning on October 1st, the choreographer will be in residence in Picardy thanks to a joint effort by four institutions in the area (the Echangeur in Fère-en-Tardenois, the Centre Culturel in Tergnier, the Maison de la Culture et des Loisirs in Gauchy and the Chevalet in Noyon). A featured performer in Magyart, the Hungarian cultural season in France, Pàl Frenàk has lived in France since 1988 and his company, under a French-Hungarian banner, is made up of dancers recruited on his many travels between Paris and Budapest. An asset which this restless man fully intends to bring into play.
AN UNUSUAL CAREER
"Basically, I’m like the weeds that always find someplace to take root and grow,” he explains with a half-smile. “From the outset, I’ve had a hard time getting French programmers to listen to me, they don’t know how to define me. During my trips to Hungary I began doing workshops with the support of the Trafo theater which is one of the only places that programs contemporary choreographers. In the last four years, partially due to this work, Budapest has opened up to modern dance. As a result, dancers wanted to come work with me. Some of them come from major folk dance companies, others from the Opera ballet school, or from figure skating. They all have great potential and the urge to express themselves. We work with next to nothing, but their desire to create something new is stronger than any contingency that might arise.”
Like his dancers, Pàl Frenàk has not taken the usual career path. He came to dance very late (he took his first ballet class at twenty while continuing to work as a waiter in a restaurant), but quickly rose to become, in less than eight years, a soloist with one of the best companies in Hungary. In France, he decided not to take the mandatory path as a performer in order to lay the foundations for his choreographic work. It was hard labor, digging deep into his childhood (born to deaf-mute parents, Pàl Frenàk spent part of his youth in a tough boarding school) to draw out its pith without falling into its pits.
On this rocky path, the choreographer has planted a few solid choreographic milestones such as Les Palets (1994), a grim yet strangely angelic transfiguration of confinement, or Sainte Rita (1996), a dark incision into a world on the brink. “I explore instinctual drives to forge organic movements and give form to the primitive state of being that resembles a trance, a modern-day trance.” As he distances himself from his past, Pàl Frenàk loosens the straitjacket of movements that provided him with a certain stability in order to break down all the barriers of the body. In Sauvageries (1998), which does not belie its title, and Tricks and Tracks (1999), which expels raw matter from beings, he enters a zone of dangerously human violence and keeps moving closer the source itself of what keeps him up and dancing.
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